Communication au cinquième Congrès Européen de Systémique,
Hersonissos, Heraklion, Crête, 16 au 19 Octobre 2002.


Comment agir devant un péril majeur ?


François Dubois et Pierre Marchand

21 janvier, 5 mars, 25 avril, 2 mai, 2 août 2002.

Résumé
A partir de l'exemple de la chute d'un bolide sur la planète Terre, nous étudions d'une part la possibilité d'agir via une action spatiale et d'autre part la possibilité de ne pas agir directement contre la menace. Pour "accueillir le météore", il est nécessaire de construire une société plus robuste ou l'investissement à dix ans ou plus a toute sa place afin de permettre éventuellement à la technologie d'être dégradée.




How to act in front of a major disaster ?


Abstract
From the example of a bolide that can collide with the Earth, we study on one hand the possibility of a direct space action and on the other hand the possibility of no action in front of the threat. In order to "welcome the meteor", it is necessary to construct a more robust society where ten years investment or more has a great place in order to allow the technology to be eventually degraded.



1)   Accueillir le météore.

Il y a soixante cinq millions d'années et il y a presque dix ans (en 1994), deux événements cosmiques comparables se produisirent : la chute d'un bolide sur une planète. Il y soixante cinq millions d'années, un météore d'une taille de dix kilomètres environ s'écrasait sur Chicxulub au large du Mexique, créant un cratère de deux cents kilomètres de diamètre enfoui depuis sous les sédiments, transférant au "système Terre" une énergie équivalente à celle de mille ans d'activité des océans, de l'atmosphère et des volcans réunis, en mettant brutalement fin à l'ère secondaire et tuant finalement soixante dix pour cent des espèces vivantes, dont les dinosaures en moins d'une génération. Il y a dix ans, la comète Shoemaker-Levy s'écrasait sur Jupiter. Cela a fait la "une" des journaux et le lecteur peut consulter le site web //www.jpl.nasa.gov/s19/. Ce fut surtout une catastrophe écologique majeure pour l'atmosphère de cette immense boule gazeuse. Une question "naturelle" qui se pose est la suivante : les être vivants (éventuels) de Jupiter ont-ils survécu ? ou de manière plus abstraite : "quelles doivent être les caractéristiques physiques, biologiques et relationnelles de tels êtres vivants pour survivre à une telle catastrophe ?" ou bien : "que se serait-il passé si la comète Shoemaker-Levy était tombée sur Terre au lieu de s'écraser sur Jupiter ?"

La première idée qui vient à l'esprit est d'éviter cela pour le futur de la Terre. Nous vivons dans un monde fragile qui doit être protégé. La menace que notre planète soit victime d'un impact de météore gravitant autour de la Terre ou, de manière plus improbable, d'une percussion avec une comète, est réelle. Des programmes d'observation en cours depuis moins de cinq ans, comme par exemple le programme "Linear" du Massachussets Institute of Technology (voir le site //www.ll.mit.edu/ LINEAR/), montrent par exemple que l'objet WO107 découvert en l'an 2000 passera au tiers de la distance Terre-Lune le premier décembre 2140. On a donc le temps d'agir. Ainsi, de manière analogue au système de missiles anti-missiles, on peut imaginer un système de défense "militaire" pour protéger la Terre d'une agression extérieure. Le premier auteur de cette note s'y est exercé (congrès 1997 de l'International Astronautical Federation, article numéro IAA.97-IAA.6.4.09) en réinventant avec trois ans de retard une admirable synthèse proposée par l'administration américaine dès novembre 1994. En conséquence, le lobby militaire américain nous abreuve de films d'anticipation (Armageddon, le cinquième élément, etc.) ou l'héroïsme et la violence ont raison des forces de la nature. Les militaires américains envisagent même de tester des systèmes de déviation de bolides sur des petits cailloux qui traînent autour de la Terre, afin de développer la technologie "ad hoc". Ne nous y trompons pas ; il s'agit d'abord d'un effet corporatiste bien humain d'une communauté qui, depuis la chute du mur de Berlin, manque de client et cherche de nouveaux terrains pour se développer, au risque de voir décroître son influence.

La seconde idée, initialement proposée par le second auteur de cette note en mars 2001, est d'accueillir le météore, admettre la Nature telle qu'elle est et telle qu'elle sera dans le futur sans tenter d'imiter les dieux et de vouloir la transformer sur une échelle cosmique. Il est probable (mais à confirmer avec des travaux scientifiques futurs !) que l'Humanité en tant qu'espèce animale survivrait dans un premier temps à une catastrophe de type Chicxulub ou Shoemaker-Levy, mais comme nous aimons à le dire de manière quelque peu provocatrice, "ce sera la fin du capitalisme ; et du christianisme aussi !" Est-ce si sûr ? L'ambition de cette question nous interdit de proposer la moindre réponse. Elle concerne chacun d'entre nous, en tant qu'être social, et l'ensemble de l'Humanité, pour autant qu'elle puisse réagir de manière cohérente. Nous ne pouvons que proposer ici quelques commentaires, laissant pour plus tard une réflexion systémique à élaborer.

Regardons d'abord notre monde de l'après "onze septembre". Une catastrophe terroriste et idéologique entraîne un traumatisme psychique pour six milliards d'êtres humains, une peur de voyager, une fragilisation des échanges, une crise dans l'industrie aéronautique... L'onde de choc n'a pas fini de faire plusieurs fois le tour du monde économique pour atteindre chaque acteur dans le monde entier. Diminution de l'effort de développement technologique, moins de motivation pour la recherche appliquée, moins de besoin d'éducation, plus d'influence de médias superficiels sur des êtres fragiles, etc...

Mais relativisons les choses pour le problème qui nous préoccupe ici : le onze septembre n'est qu'une secousse infinitésimale comparée à une menace de type "Chicxulub". La percussion d'un bolide sur la Terre entraînera d'abord une destruction totale de l'activité dans un périmètre de quelques kilomètres à quelques centaines de kilomètres, mais aura des conséquences à moyen terme sur l'activité de l'atmosphère et du climat. On peut imaginer une multiplication des catastrophes naturelles comme les tremblements de Terre ou les tempêtes du 26 décembre 1999. Il faut donc prendre le problème dans la durée et la certitude. On sait qu'Abraracourcix ne craint qu'une chose : c'est que le ciel lui tombe sur la tête, mais comme il le dit lui-même, "c'est pas demain la veille !" Il faut d'abord insister sur le caractère certain d'une telle catastrophe d'origine cosmique. La Terre en a déjà subi cinq au cours de son histoire et elle en subira d'autres. Le plus grand espoir que peut avoir l'Humanité est d'être encore présente quand la prochaine se produira. Son plus grand désir devrait être de survivre à cette catastrophe.

Cette question de la catastrophe future doit être présente dès maintenant dans notre action économique. Si les chasseurs de météores arrivent à nous convaincre qu'un objet dangereux percutera la Terre dans, disons, deux cents ans, il ne fait aucun doute que cette information fera le tour du monde, que l'approche militaire du détournement de bolide sera envisagée, entraînant un effort économique de guerre (spatiale ?) sans précédent, et mobilisant une part importante des énergies disponibles. Si au contraire une comète du type Hale Bopp (1997) de quarante kilomètres de diamètre (soit quatre fois plus grosse que le bolide qui a provoqué la catastrophe de Chicxulub), percute la Terre dans deux cents ans, nous ne le saurons que deux ans avant, nous ne pourrons rien faire pour contrer la menace par une action directe. Il ne fait aucun doute que si dans deux cents ans, tous les volcans du monde se réveillent, que le nombre de cyclones est multiplié par dix, que les tempêtes comme celles de décembre 99 se produisent chaque semaine en France, l'activité économique changera de nature et les échanges physiques entre les êtres humains diminueront. Mais les échanges intellectuels et artistiques pourront-ils être maintenus ? Sera-t-il encore possible de produire de l'électricité ? La mémoire technique survivra-t-elle ? Pourrons nous avoir de nouveaux ordinateurs ? Le droit survivra-t-il ? Quel type de chaos pourra envahir la Terre ? Autant de questions en suspens.

Le détournement des bolides semble hors d'atteinte pour des raisons de systèmes dynamiques et de chaos. En effet, si le système solaire est bien ordonné pour les grosses planètes, on sait (J. Laskar, voir par exemple "le chaos dans le système solaire", La Recherche, vol. 232, p. 572, 1991 ou bien la synthèse historique sur le site de l' institut de mécanique celeste et de calcul des éphmémérides) qu'à l'échelle du million d'années, le mouvement des petites planètes comme Mercure, Vénus, la Terre et Mars est chaotique. Et certains imaginent même une collision entre la Terre et Mars ! Il en est bien entendu de même pour les petits cailloux qui rôdent autour de la Terre et risquent de la percuter. Nous ne pouvons pas encore envisager "le contrôle, au moindre coût, du système solaire" ainsi que l'exprimait dans une boutade un éminent mathématicien. Même si l'humanité arrive à détourner un bolide dangereux, ce sera au prix d'un effort économique d'"une" nation en guerre, et rien ne dit que cette action n'induira pas d'autres effets du même type à plus long terme. L'approche rationnelle est donc précisément (!) de mettre en oeuvre ce "contrôle au moindre coût". Mais elle doit être pensée et nous ne disposons même pas de la théorie mathématique qui permettrait de le concevoir ! Il n'est pas interdit de chercher et donner un ordre de grandeur des impulsions et énergies nécessaires pour "stabiliser" le système des petites planètes. Il est sans aucun doute qu'il est fantastique et dépasse toute notre technologie, fût-elle nucléaire et spatiale.

Consacrons dès aujourd'hui une part de notre richesse pour l'investissement à très long terme dans une "défense civile" pour se préparer à vivre dans un monde où la technologie est dégradée. La seule certitude est que la réflexion à mener pour pouvoir "accueillir le météore" est d'abord d'imaginer un monde social infiniment plus robuste aux variations des conditions extérieures, et d'agir dès maintenant pour construire cette solidité à travers la variété et la solidarité.



2)   D'un point de vue tiers...

Plaisir...

Je ne saurais dire, ou si peu, le plaisir de progresser dans ces lectures sur l'espace où notre planète et le manège des étoiles se meuvent. Plaisir, aussi, de se trouver contemporain de ces découvreurs et de ces conteurs qui nous inscrivent dans les plus fabuleux développements de ce monde. Grâce à leur ingéniosité, leurs hypothèses et leurs théories, ils nous invitent à comprendre un monde qui est le nôtre. Ainsi, nous ne le regardons plus comme des étrangers, voire des squatters, mais comme des acteurs, encore timides, qui se reconnaissent devant des responsabilités inédites.

Tout cela m'attire, m'interpelle et alimente en moi une réflexion qui ne cesse de diffuser jusqu'à me faire rejoindre, s'entremêler et enrichir les problèmes de notre temps. Au fond, comme nous le rappelions quelques lignes plus haut, je me sens à l'égard de ces météorites comme, paraît-il, ces gaulois qui ne craignaient qu'une chose... Car, comment ne pas être quelque peu angoissé à la pensée de ces "objets révélés" du système univers et ne pas craindre, finalement, que le ciel vous tombe sur la tête ! Mais qui nous dit, somme toute, que nous sommes plus menacés que nos "ancêtres les gaulois" ? Il est fort probable que l'information qui leur parvenait par ouï-dire, messagers et autres prédictions maléfiques valaient bien, "en vérité", ce qui nous est aujourd'hui proposé.

Alors où est le problème ?

A priori il n'y a aucune raison pour que nos problèmes soient très différents des leurs. Différents au sens où probablement l'écart entre leur savoir et ce qu'ils observaient n'était peut-être pas très différent du nôtre... Il leur a fallu, assurement, déployer du courage, de la réflexion, de l'objectivité, des efforts de transformation même pour comprendre et réussir le passage d'un gué au bord duquel, des siècles plus tard et bien que "fiers de notre gloire neuve..." (avec nos ordinateurs), nous sommes là aussi, tremblant, à essayer de poser, peut-être en d'autres termes, des problèmes similaires !

Pour qu'on puisse dire, plus tard, dans ce livre d'histoire à paraître, "nos ancêtres du XXI ième siècle...", il faut qu'aujourd'hui nous sachions trouver le chemin qui, en marchant, nous inspire une attitude d'homme raisonnable devant une telle information. Il faut imaginer les conditions qui nous permettent de retrouver cette compétence, peut-être endormie, quelque chose comme la survie (?), quelque chose qui nous amènerait à "accueillir" plutôt qu'à craindre.

Pour faire sérieux j'énoncerai ma problématique de l'astéroïde annoncé de cette manière : "Comment agir (au sens, se déterminer à), ou ne pas agir, face aux développements possibles d'un impact d'astéroïde, sachant qu'on ne dispose ni des moyens financiers requis (actuellement peu mobilisables) ni des moyens technologiques (aujourd'hui seulement imaginés ou supputés réalisables) ?".

Ce petit texte est, je l'ai déjà annoncé, "un point de vue tiers". Je suis donc dans la foule des gens concernés, je fais part de ma réaction et, comme tous, sur la ligne de départ, je me demande comment prendre le moins mauvais des chemins...

Je propose deux remarques, très banales en apparence, sur lesquelles la réflexion peut apporter, me semble-t-il avec le temps, un allégement notable des conditions sine qua non énoncées dans ma problématique :

1.- L'état des choses, qu'on peut appeler l'information à un moment donné, ne peut se réduire à sa mesure "comptable".

2.- Le fait et l'événement engagent des perspectives différentes selon que le langage vernaculaire les retient comme signe.


1.- L'état des choses, qu'on appelle l'information à un moment donné, ne peut se réduire à sa mesure comptable.

Sida, BOPAL, vache folle, tunnel du Mont Blanc, AZF, mais aussi les Twins Towers, les glissements de terrain en Uruguay, les tremblements de terre à Agadir et en Turquie, les conflits, les massacres, les basculements politiques, le développement des hégémonies et des groupes de pression... et maintenant le danger à venir des météorites ! A chaque épisode de ces "catastrophes" je me sens concerné par les nouvelles que la presse ou la radio me livrent. Mais aussi, je me sens ballotté, frustré, incapable d'avoir le temps et la capacité d'établir des points de repère, des liens, de pouvoir enfin prendre une distance suffisante pour m'arracher à ces bouffées d'affectivité.

Ce qui me frappe, dans un premier temps, c'est l'accélération de ce "marché" de l'information, rapporté (j'en suis rarement le témoin), qui me dicte ses lois (je continue de "m'informer"!) et m'impose une sorte de dégradation affective (négative, dit-on) de la vision de mon environnement. Au delà du bénéfice incontestable que je tire des avances techniques de la communication, j'ai le sentiment d'un "lâchage de soi", d'un écart qui ne cesse de se creuser entre le monde auquel pourtant j'appartiens et moi.

Paradoxalement je suis fasciné par ce savoir que je me construis sur toutes les parties du monde et, en même temps, je me fragilise en me mettant d'instinct dans une situation d'attente morbide d'un autre incident qui viendra estomper le précédent, comme je le souhaite, peut-être, au fond de moi-même ?!

Par ailleurs, je me demande si cette accélération n'est pas à l'origine d'une certaine perversité qui fait de l'information l'image très mécanique d'un flux continu comme l'eau qui coule de mon robinet. Cette réduction de la pensée (informationnelle) me conduit à ne reconnaître qu'une suite ordonnée, au sens des maths, de certains événements qui se développent dans une logique en dehors de moi, comme si des forces occultes me dictaient le choix des "dangers" qu'il me fallait craindre. J'en viens, ainsi, à ne prendre au sérieux que ce qui me serait spécifiquement présenté sous cette forme. Quant à la partie de "ensemble météorites" qui pourtant comporte déjà des éléments qui appartiennent (appartenance) à la série (voir la dimension du séisme possible ou la disparition des dinosaures) elle n'est, pour le moment, pas incluse (inclusion) dans la série et de ce fait je suis amené tout naturellement à rejeter l'éventualité d'un tel incident !

Je suis obligé de constater que ce contexte d'accélération, de flux continu fait partie de mon univers auquel j'ajoute, par habitude sans doute, le caractère obsessionnel du comptage et de la nécessaire objectivité qui m'entraîne à des besoins de représentation. Ainsi doté d'outils et de prothèses je me représente chaque catastrophe comme une de ces courbes multiples que produisent les ordinateurs quand ils traduisent l'évolution chaotique d'une combinaison chimique. Celle qui se présente comme une coquille de moule ouverte à quatre vingt dix degrés est exemplaire. Pour les catastrophes, ce serait la même chose. Chacune d'elle est assignée à une courbe qui excède la précédente dans le dessin parce qu'elle est d'un caractère spécifique qui excite encore plus ce désir morbide déjà évoqué.

Comment puis-je, alors, intégrer dans une schématique aussi "raisonnable" l'éventualité d'un impact de météorite aussi peu probable ? Chaque cycle ou boucle est bien lié à une valeur de paramètre ou de spécificité si l'on préfère. Je n'y perçois aucune récursivité qui viendrait enrichir ma pensée en passant d'un incident au suivant.

Ma réflexion s'arrête là. Je constate que ma représentation, celle que l'on m'invente pour penser aujourd'hui, s'apparente plus à un cercle vicieux qu'à un cercle vertueux, comme le suggérait E. Morin en 1977.

Je suis dans l'impasse, que faire de ma problématique ?


2.- Le fait et l'événement engagent des perspectives différentes selon que le langage vernaculaire les retient comme signe.

Cette première lecture et les quelques réflexions annexes m'ont fait percevoir la fragilité de ces premiers jugements placés sous la bannière d'une mathématisation presque entièrement dédiée à l'irrésistible besoin de compter. "Ce qui compte au sens de ce qui vaut est ce qui est compté". Voilà bien le puissant adage de la doxa auquel ma problématique a succombé en considérant que le risque d'un impact de météorite devait être pris sans référence à la loi comptabilitaire...!

Mais, pour me réhabiliter je m'accorderai un autre essai que je fonde sur la "sagesse" populaire. Certes, je sens s'élever la contestation, mettant à l'index toute démarche non scientifique. Pourtant il me semble que ce langage vernaculaire s'est exprimé un peu partout à l'occasion de la suite (non exhaustive) des accidents déjà évoquée plus haut. Le partage ne s'est-il pas fait entre ce qui a été appelé des FAITS et ce qui a été retenu comme EVENEMENTS ?

De cette reconnaissance langagière on peut, à mon avis, d'abord tirer la suite de ces sujets inquiétants, puis distinguer les attitudes "raisonnables" qui pourraient y être associées, aujourd'hui.

Je ferai appel à deux philosophes Gilles Deleuze et Alain Badiou, considérant que, momentanément, la contrainte économique est "hors jeu" et que ce que je recherche est une "attitude possible d'accueil" et non des recettes pour demain.

L'annonce de ces accidents me place toujours dans une sorte de rupture d'intelligibilité, je reste interdit (de parole) et, en quelque sorte, suspendu au dessus d'un gouffre dont je ne perçois rien !... Sans doute faudrait-il l'annonce de l'impact pour que brusquement j'entre dans la réalité de ces météorites. Comment puis-je "comprendre" l'événement à venir (?) sans qu'aujourd'hui je puisse vivre le fait, ou l'accident ?

Dans sa neuvième série du problématique, dans son livre la Logique du sens, Gilles Deleuze analyse la nature de l'événement :

" Les événements sont idéaux.... Mais la distinction n'est pas entre ces deux sortes d'événement (les uns idéaux, les autres réels et imparfaits), elle est entre l'événement, par nature idéal et son effectuation spatio-temporelle dans un état des choses. Entre l' événement et l'accident... Le mode de l'événement c'est la problématique."

Ce que je crois comprendre chez G. Deleuze est cette volonté de restituer à l'événement sa spécificité temporelle. Au sens où il l'entend, on devrait parler de l'absence de temps (celui qui relève de chronos), car pour lui cet instant n'a pas de consistance c'est moi qui le "consolide" avec du passé et du futur. L'événement est la ligne de fracture, le lieu de basculement comme dit l'auteur, d'un monde ignoré à un monde inconnu. Cette césure est le signe de quelque chose qui se passe. Et, précisément, l'attention que l'on porte à l'événement peut éclairer sur l'étendue de cette attitude d'accueil déjà évoquée. Il s'agit d'une "attention intuitive" dont parle Simone Weil dans La condition ouvrière, une attention dont aucun caractère (l'affectif, par exemple) est de nature à produire des images.

Dans une perspective complémentaire, Alain Badiou marque une distinction entre les FAITS et les EVENEMENTS en leur allouant des champs opératoires différents.

"...il n'y a pas d'événement naturel, ni non plus d'événement neutre. Dans les situations naturelles ou neutres il n'y a que des faits. La distinction du fait et de l'événement renvoie, en dernière instance, à la distinction des situations naturelles, ou neutres, dont le critère est global, et des situations historiques, dont le critère (existence d'un site) est local."

Je cite ces textes pour faire court et valider l'hypothèse que j'avance, ici, d'une grille d'analyse qui se fonde sur des catégories qui ont fait l'objet de travaux par des auteurs connus. Outre G. Deleuze donc, déjà cité, je rappelle deux ouvrages de A. Badiou : L'être et l'événement -p.199 - 1988 et Le Nombre et les nombres, 1990.

On parle bien, et à juste titre, des événements du "11 septembre" mais si un impact avait eu lieu sur notre planète on parlerait d'un fait comme celui qui a eu lieu au Mexique. Un peu à la manière de A. Simon qui définissait l'artificiel comme tout ce qui était dû à la main de l'homme, tout ce qui arrive, indépendamment de l'homme est "naturel" (pour le moment et dans l'état actuel de la science de l'écologie que nous devons à Haeckel depuis 1873 déjà...!) J'en déduis que l'impact du météorite serait un fait naturel, inclus dans un ensemble plus vaste et global de l'environnement terrestre sur lequel on a aucune emprise. Les plaques tectoniques et les conséquences qu'elles entraînent sont malheureusement exemplaires.

Grâce à nos auteurs, ma grille d'analyse comporte une autre catégorie : l'historicité. La prise de la Bastille, le 11 septembre sont des événements incontestés et pourtant les faits sont là pour attester des ruptures pour lesquelles il y a eu "un avant et un après" (G. Deleuze). Ce sont des faits historiques qui jalonnent une histoire que nous commençons à découvrir pour la première et qui, probablement s'inscrit dans une autre perspective historique bien difficile à cerner, aujourd'hui, pour la seconde. Longs processus historiques "indécidables" dans leurs développements à venir puisque l'homme et la communauté dans laquelle il agit est toujours maître du jeu et que lui-même est soumis aux effets locaux de ce jeu.

Vraiment, je me sens dans un univers purement artificiel (A. Simon) !

Enfin, il m'apparaît là une source inépuisable de manipulation. Le travail sur l'information peut permettre d'en distiller les effets par grossissement, ou l'inverse, sur des images construites, par application et mélange de sons et enfin par création de discours de synthèse irréprochables dans leur sémantique, mais outranciers dans leur syntaxe... ! Je n'entame pas, ici, une polémique, j'imagine seulement, pour celui qui est ou doit être informé, à quel niveau "d'accueil" il lui faut se hisser pour comprendre, et non prendre, l'information telle qu'elle lui est présentée.

On comprend aisément, maintenant, l'usage qui peut être fait de cette alternative et du passage : "fait à événement" et vice versa : c'est-à-dire en jouant sur le local et sur le global, sur "ce qui se passe" dans l'histoire ou ce que la science cache pour des raisons obscures que "le citoyen ne peut comprendre"...


Conclure...

Effets naturels ou artificiels (dus à la main de l'homme), effets locaux ou globaux, effets historiques ou effets intolérables de notre capacité d'innovation, effets d'atteinte à des valeurs morales, religieuses, culturelles, effets de la parole, effets de mode, effet de cour.... jusqu'à cette dernière ligne je me demande encore quel acteur je pourrais bien choisir pour convaincre mes concitoyens de prendre au sérieux mes chers météorites !


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mise à jour : 03 janvier 2009