VIOLENCES...
 
Martine TIMSIT-BERTHIER
Neuro-Psychiatre, Docteur en Sciences
19 Bau Rouge, CARQUEIRANNE 83320
timsit.berthier@wanadoo.fr
 
journées de réflexion de l'Afscet
Moulin d'Andé, 18-19 mars 2000

 

 

 

Définitions

 

 Le terme de violence caractérise ce qui se manifeste avec une force intense, extrême, brutale. Il concerne aussi bien les éléments que les êtres vivants. Il traduit un abus de force avec un caractère intense, brutal et aveugle sans relation à l'autre. 

 La notion de violence se réfère généralement à la violence physique

 Le concept de "violence sociale" implique une force dévastatrice et destructrice, sans projet et d'autant plus difficile à contrôler qu'il n'y a rien à négocier. Actuellement, il est utilisé plus volontiers que d'autres termes tels que agression, maltraitance, affrontement.

 Le terme d'agression est utilisé pour traduire l'attaque contre les personnes et les biens, visant à les détruire, à les humilier. Ce concept implique un rencontre, une relation. Le comportement agressif a été considéré par Freud comme "une prédisposition pulsionnelle originelle et autonome" contre laquelle s'efforce de lutter la culture.

 La maltraitance concerne un ensemble de comportements préjudiciable à une personne dans la continuité d'un lien déjà établi.

 L'affrontement est le fait d'aller hardiment en face d'un adversaire ou d'un danger et la notion de conflit implique la rencontre d'éléments contraires, incompatibles.

 

 Ainsi, par rapport aux termes d'agression ou de maltraitance, le concept de violence implique un rapport à l'autre déshumanisé. Il évoque une réalité abstraite qui n'interpelle pas l'individu dans ses capacités d'émotion, de réflexion et d'identification. Cette mise à distance peut amener à considérer "la violence" comme un phénomène étranger à l'être humain, comme une "déviance" que l'on doit "corriger" par un effort de "gestion" de la Société.

  Or, le problème est infiniment plus complexe car la violence peut être aussi considérée comme une des dimensions fondamentales de la personne humaine, habitée à la fois par des pulsions de vie et de mort. N'est ce pas l'être humain, en effet, le seul animal capable de meurtres "intra-spécifiques"?

 Bien plus, lorsqu'on essaye de définir, concrètement, une conduite violente ou un acte de violence, on se heurte immédiatement au problème du choix des critères et du cadre de référence que l'on se donne. Un "acte" n'apparaît jamais aussi "violent" pour son auteur que pour sa victime. Et, il est admis actuellement qu'un acte ne peut être jugé comme violent qu'en référence à des normes, à une situation et à un contexte. Un acte de violence est avant tout un acte de transgression. Ainsi, le même acte pratiqué sur un terrain de rugby, dans une cour d'école ou à la chambre des députés ne sera pas considéré de la même façon comme un "acte de violence".

 

 La notion de "violence symbolique" développée par P. Bourdieu éclaire toutes les difficultés soulevées par la définition des critères qui permettent de décider de la violence d'un acte. 

 La violence symbolique s'exprime à la fois, de façon objective par des règles, des lois, des mécanismes de régulations sociales et de façon subjective, dans les esprits, sous forme de pensées, de schèmes de perception. Elle est l'aboutissement d'un processus qui l'élabore à la fois dans les institutions et dans les mentalités. Ainsi, cette violence symbolique apparaît comme le résultat d'une longue série d'expériences étalées dans l'histoire mais elle se présente comme "naturelle", allant de soi.

 

Dans cette perspective, le dominé perçoit celui qui lui fait violence à travers des concepts, des systèmes de pensées que la relation de domination a produit. De ce fait, il n'a à sa disposition que les instruments de connaissance qu'il partage avec le dominant et qui est précisément une expression de la relation de domination. 

 A la différence de la violence physique, cette violence est douce, invisible. Elle est associée à la domination linguistique et fonde une relation de connaissance profondément obscure à elle même. C'est une forme de pouvoir qui s'exerce sur les corps et les esprits directement, comme par magie, en dehors de toute contrainte physique. La plus grande violence serait ainsi celle du langage et paradoxalement, la plus grande liberté proviendrait de notre capacité à inventer de nouveaux symboles et c'est dans cette perspective que l'on pourrait interpréter l'invention de nouvelles langues, dans les banlieues "chaudes" de nos grandes villes, invention qui constituerait un des rares moyens d'échapper à la violence symbolique de la société à "2 vitesses".

 

 Une forme extrême de violence sociale est constituée par le phénomène de "désaffiliation", rencontré dans les milieux de la précarité et de l'exclusion (J. Furtos, 1999). On peut d'ailleurs remarquer que ces termes de "précarité" et d'exclusion" participent à cette violence symbolique dénoncée par P. Bourdieu, dans la mesure où ils invitent à une lecture laïque et professionnelle de la ségrégation sociale en apportant une alternative conceptuelle aux notions de "pauvreté" ou de "lutte des classes". Il n'y aurait plus là, en effet, une réalité susceptible d'interpeller l'individu dans ses sentiments de fraternité et de solidarité mais un problème social parmi bien d'autres, mis à distance de tout investissement personnel et émotionnel et nécessitant là encore un effort de "gestion" de la société. 

 

 La "désaffiliation", terme créé par Robert Castel, exprime l'état des personnes qui ont perdu le sentiment d'être citoyen et qui ne se sentent plus incluses dans la chaîne des générations. A ce stade, l'exclusion sociale se double d'une auto-exclusion, tant physique que psychique, qui se traduit par une négation de la souffrance. Pour ne plus souffrir, il semble que le sujet se coupe de lui-même. En effet, ces sujets refusent les soins et les aides qu'on leur propose et ne semblent même plus capables d'assumer leurs propres souffrances, physiques et morales. Il me semble qu'il y a alors une double violence, celle infligée à "l'exclu" mais aussi celle qu'il nous inflige dans la mesure où la souffrance, qu'il semble ne plus ressentir, peut alors être vécue par ceux qui en sont spectateurs. 

 

 

 

Quel sens peut on donner aux comportements agressifs? 

 

 Si l'on se place du coté des acteurs "de terrain", il est important d'essayer de comprendre la signification d'un comportement agressif afin d'y mettre fin et éventuellement de le prévenir. Dans cette démarche, on pourrait s'inspirer des résultats de nos travaux effectués chez 90 meurtriers ( 15 femmes , 75 hommes de 17 à 55 ans) soumis à des expertises pénales. (Timsit M. et Timsit-Berthier, 1993)

 L'étude des meurtriers peut être intéressante dans la mesure où le meurtre constitue un acte de violence unanimement condamné dans toutes les structures sociales.

 L'étude de variables psychologiques (Tests projectifs) et neurobiologiques (Potentiels endogènes) nous a permis d'analyser le "processus criminogène" en prenant en compte à la fois les dimensions motivationnelles et relationnelles.

 

  Ainsi, nous avons pu ranger les sujets selon 2 axes:

 

1) Le premier, celui des "Mobiles de l'action" a trait au caractère utilitaire ou non utilitaire de l'acte d'agression. Et l'on peut distinguer ainsi avec Karli (1987) :

 

 a) Les agressions appétitives, utilitaires qui visent à s'approprier un objet convoité, à satisfaire un désir, à se donner des sensations fortes (cf. vols, viols....).

 b) Les agressions non utilitaires, à visée défensive qui visent à mettre un terme à une émotion douloureuse en agissant sur la situation intolérable qui l'engendre. 

 

2) Le deuxième axe est relatif au statut de la victime par rapport à l'auteur de l'agression.. Il renvoie à la notion éthologique de proxémie, la victime pouvant être proche, familière ou au contraire inconnue, étrangère.

 

  Le tableau à double entrée dessiné par recoupement de ces deux axes permet de classer la quasi totalité des cas rencontrés en quatre catégories:

 - Crime utilitaire/ victime inconnue, étrangère (22 sujets, tous masculins et jeunes). C'est le crime crapuleux ayant le vol pour mobile le meurtre visant à en assurer la réalisation ou à éliminer un témoin gênant. C'est dans ce cadre que sont rangés les crimes sexuels.

 - Crime utilitaire/ victime proche (1 homme, 38 ans) C'est le genre de crime le plus rare et celui qui provoque le plus d'opprobre. C'est le cas des "empoisonneuses".

 - Crime non-utilitaire/ victime proche, familière (28 hommes, 15 femmes d'âge moyen). C'est le crime passionnel, légitimé par la jalousie, la vengeance, l'humiliation. Le sujet a l'impression d'être menacé dans son intégrité physique ou psychique et l'acte meurtrier s'inscrit dans le cadre d'un drame passionnel et revêt un caractère paroxystique.

 - Crime non-utilitaire/ victime inconnue, étrangère (13 hommes d'âge moyen). Ce sont des meurtres commis dans un état émotionnel paroxystique, sous l'influence de l'alcool et de drogues qui se présentent chez des sujets animés de sentiments de vengeance et de désespoir dans un contexte de frustration et de ressentiment et qui s'en prennent à la foule anonyme.

 A ces quatre catégories, on peut ajouter un cas seulement où le meurtre s'inscrit dans un contexte franchement psychopathologique.

 

 L'application de cette classification à d'autres comportements agressifs invite à diversifier et à moduler nos façons de nous comporter en face d'actes de violence en prenant en compte non pas l'apparence de l'acte mais la signification qu'il peut avoir pour le sujet.

  L'utilisation de moyens répressifs et de sanctions ne peut avoir d'influence dissuasive que sur les comportements agressifs à visée utilitaire de sujets qui se présentent comme des prédateurs n'ayant aucune capacité d'identification avec leur victime. En revanche, elle ne peut qu'exaspérer les comportements agressifs de sujets déjà sur la défensive et se sentant, à tort ou à raison, menacés de toute part. Et l'on peut penser, avec P. Bourdieu, que les "exclus", soumis à la violence symbolique de notre société se trouvent souvent sur la défensive.... 

 

 En guise de conclusion:

 

 Il n'y a pas si longtemps, l'autorité qui posait les critères de référence pour juger de la violence était constituée par la Religion, l'Etat et la famille. Ce sont ces trois institutions qui exerçaient la violence symbolique et c'est contre elles que s'élevaient les protestations plus ou moins violentes des sujets qui cherchaient à se libérer des liens de domination.

  Actuellement, c'est à travers des discours scientifiques que tend à s'exercer cette violence symbolique et les discours "d'experts" visent souvent à légitimer les rapports de domination. 

 On peut espérer qu'un tel discours scientifique, même systémique, ne sera pas élaboré par notre Association......

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

P. Bourdieu, Sur le pouvoir symbolique, Annale, 1977, 3, 405-411. 

R. Castel. Les métamorphoses de la question sociale. Fayard, 1995.

J.Furtos, ORSPERE, CH Le Vinatier, Rapport 48° journées nationales Santé Mentale, Croix Marine, 1999

P. Karli L'Homme agressif, Paris, Ed. Odile Jacob, 1987.

M.Timsit et M. Timsit-Berthier, "Approche compréhensive du meurtre et des meurtriers dans une perspective psychobiologique", Ana'lise Psicologica. Psicologia Legal. 1993, XI, 1, 99 --115. 

 

  

 

 

 

 


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